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Solitude du manager


La vie en entreprise est un vaste sujet de réflexion qui permet d’évoquer l’épanouissement personnel, le bien-être et la qualité de vie au travail, l’esprit d’équipe mais aussi les risques psychosociaux, les tensions voire les affrontements, la gestion des conflits, et enfin la solitude du manager dont le but est de faire face à toutes ces situations. Si on focalise sur la place du manager dans l’organisation, et sur ses multiples relations avec son propre management comme avec ses collègues ou ses collaborateurs, il peut être difficile d’imaginer l’existence d’une certaine solitude accompagnée parfois d’un sentiment d’isolement. Et pourtant.

Accompagner le manager dans le développement de ses compétences, accompagner le dirigeant dans le développement de son entreprise, conduit donc à poser la question des relations humaines, et plus particulièrement de ses propres relations humaines, point essentiel et bien plus délicat à gérer que le fait de maîtriser tels ou tels outils ou aptitudes managériales.

Trouver quotidiennement des solutions à des problèmes, comprendre les attentes de son équipe, concilier méthode et efficacité, le jeune manager en a conscience quand il prend sa fonction. En revanche, il ne pense pas forcément devoir gérer les situations aussi seul. Même pour un cadre plus expérimenté apte à résoudre des problèmes complexes et à trouver des compromis, il n’est pas vraiment rare de ressentir un isolement professionnel, la solitude du chef dit-on parfois.

Quel que soit son « style », son aisance, la performance du manager sera aussi liée à sa capacité à durer, à faire face à l’adversité, à supporter une certaine solitude.

Reconnaître la solitude inhérente à la fonction de manager n’est pas une façon de banaliser ce que certains vivent, pas plus que de justifier les comportements qui aggravent parfois certaines situations individuelles.

Au contraire, l’identification de ce problème doit être l’occasion de faire prendre conscience qu’il s’agit d’une réalité, d’un ressenti souvent spécifique à chaque personne, afin de l’intégrer dans la formation du manager comme dans l’accompagnement du dirigeant, pour trouver la manière d’en réduire les conséquences sur sa vie, sa performance, son bien-être.

Être dans le déni, penser que le temps sera la solution, trouver dans l’application du règlement une méthode de médiation ou de résolution du problème serait nier les besoins de relation propres à chaque personne, à chaque manager.

Cela nous rappelle s’il en est besoin, que la productivité du manager et le bien-être de la personne qu’il est, sont souvent très liés.

Relation du manager et de sa « direction » : un équilibre délicat

Généralement, la direction a choisi, voire promu, le manager pour lui confier des responsabilités accrues, reconnaissant de ce fait ses aptitudes. Sa nomination est l’occasion pour la direction de valoriser et de motiver le collaborateur. En conséquence, le manager considère qu’il fait désormais partie de l’encadrement, et que par son travail, il réalise une partie des objectifs de la direction et qu’il contribue à la réussite collective de l’entreprise.

Cette nomination conduit le manager à se voir à l’intersection de deux équipes, celle de la direction qui l’a nommé et celle de ses collaborateurs qu’il doit encadrer. Dans les faits, plutôt qu’avoir ce double sentiment d’appartenance, le manager se sent plutôt entre l’enclume et le marteau.

Certes, il savait que compte tenu des objectifs ambitieux à atteindre, les relations avec son équipe ne seraient pas toujours faciles. Mais il comptait bien pouvoir bénéficier du soutien de sa hiérarchie en cas de besoin, cette même direction qui l’a encouragé à sa prise de fonction mais qui s’avère absente ou sourde à ses attentes par la suite.

Si l’on y regarde de plus près, ce manque de soutien de la direction, ou plus souvent du N+1, exprimé par de nombreux managers, recouvre des réalités différentes, car il s’agit souvent d’un ressenti qui va dépendre des circonstances, du mode d’organisation de l’entreprise, mais surtout des personnes en présence.

En effet, un manager a besoin d’un espace de liberté pour pouvoir exprimer ses qualités professionnelles. Lui refuser cet espace, lui imposer un cadre restrictif, une surveillance étroite, un reporting permanent est souvent très mal vécu. Or, ce même manager qui attend de l’autonomie quand tout va bien, veut se sentir soutenu dans certaines situations.

On voit bien que le compromis est difficile à trouver et qu’il y a une part importante de ressenti lié à sa situation personnelle, son état moral, son besoin de reconnaissance ou d’encouragement. Ce ressenti a donc forcément un aspect subjectif et individuel, qu’il faut savoir décrypter au cas par cas.

Faute de comprendre son collaborateur, le N+1 peut interpréter de façon un peu rapide le comportement du manager en fonction de son propre vécu et de sa propre personnalité. S’il n’a pas rencontré les mêmes difficultés, ou exprimé les mêmes attentes, il aura tendance à ne pas forcément comprendre celles de son collaborateur. La direction peut alors considérer que le problème exprimé par le manager n’est pas une difficulté en relation avec l’avancement du projet, l’encadrement de l’équipe, mais un problème concernant la personne elle-même, mettant en question son aptitude à faire face à ses responsabilités.

Ces tensions entre les deux parties peuvent soit conduire à un affrontement, engendrant des propos ou des comportements inadéquats, soit le plus souvent à une situation de résignation et de démotivation.  Après avoir supporté le plus longtemps possible ces différents, le manager peut parfois atteindre un état de fatigue morale ou physique important, de nature à remettre en question son bien-être et donc la poursuite même de son travail au sein de l’entreprise.

Pour éviter des tentatives de médiation a posteriori, il convient de poser a priori la question du cadre et des relations à établir avant que les conflits ou les tensions n’apparaissent (en savoir plus). Une relation de confiance se gère dans la durée, et il faut l’établir dans la vie courante pour en bénéficier quand les circonstances l’exigent.

L’autre écueil à éviter est de penser que dans une relation, les deux parties expriment ou comprennent les situations, les risques, les attentes de façon identique. Il faut se souvenir qu’il n’y a pas d’évidence mais des perceptions propres à chaque individu et donc différentes réalités qui coexistent (nous reviendrons sur ce sujet dans un article à venir). Les échanges explicites et directs évitent l’instauration de situation ambiguë, tout comme une observation quotidienne permet de repérer les signaux faibles.

L’évidence s’impose d’elle-même : créer des relations de confiance et entretenir un dialogue direct évitent tout sentiment d’isolement du manager. Plus que la méthode ou le style à employer, la question du temps consacré à l’autre se pose.

Solitude ou isolement

L’évolution de l’entreprise, de ses modes d’organisation du travail, des relations hiérarchiques, s’est déroulée concomitamment avec l’individualisation de la société elle-même. Dans la société comme dans l’entreprise, s’instaure de fait et progressivement la prééminence de l’individu sur le collectif, la direction de l’entreprise (comme les pouvoirs publics) devant désormais répondre à un ensemble d’intérêts particuliers plus qu’à la gestion d’un collectif.

Plusieurs facteurs concourent à cette « dissociation » du collectif dont un éclatement géographique des activités historiquement colocalisées, la fin d’un encadrement important et présent, l’avènement d’agendas individuels remplaçant une organisation du travail partagée au rythme assez figé, enfin l’omni présence des moyens de communication et de traitement de l’information qui ont permis les évolutions précitées.

Dans la recherche de productivité, d’efficience, qui prévaut partout,

  • les niveaux hiérarchiques jugés souvent trop nombreux, trop pesants, trop couteux ont été réduits pour accroître l’espace professionnel de chaque manager. Cette évolution répondait aussi à des attentes individuelles de (certains) cadres souhaitant disposer de plus d’autonomie, et donc de plus de reconnaissance ;
  • toutes les taches jugées non productives ont été supprimées progressivement pour ne conserver que celles qui apportent une plus-value quantifiable et créent de la valeur en regard du produit ou du service fourni, et de l’attente du client ;
  • toutes les « marges », qu’elles soient matérielles, personnelles ou temporelles, qui laissaient un peu de souplesse aux organisations et permettaient de faire face aux aléas ont été rognées.

Les flux désormais tendus partout et tout le temps tendent aussi les relations personnelles à la moindre difficulté, qui est malheureusement devenue quotidienne.

Dans l’entreprise qui est dit-on plus agile grâce à toutes ces évolutions qui ont assoupli les organigrammes, développé les relations transversales, favorisé les initiatives individuelles, accéléré les échanges… On peut aussi constater que le temps consacré aux autres se limite le plus souvent au strict nécessaire pour le « fonctionnement » du processus (souvent sous la forme d’un reporting formel inscrit dans une routine managériale) sans vraiment laisser de temps pour gérer les aspects plus personnels. Concomitamment à ces différents changements, sont donc apparus les risques psychosociaux aux origines multiples mais souvent liés à des relations difficiles et non à des taches compliquées, mais aussi des activités de « cohésion » sensées restaurer en quelques heures la dégradation de l’esprit d’équipe et l’absence de relation au quotidien …

En effet, la relation humaine dans l’entreprise s’est trouvée significativement impactée avec de nouveaux comportements « managériaux » distants. Ne plus sortir de son bureau, rester devant l’ordinateur qui est sensé vous donner toutes les informations nécessaires à votre travail, communiquer par mail pour toucher un maximum de personnes en un minimum de temps, apprécier les situations au vu d’indicateurs de résultat et ne plus avoir de vision précise des comportements individuels de ses collaborateurs… est devenu une pratique répandue.

Cette relation par écran interposé protège certains managers d’un contact humain qu’ils ont progressivement perdu l’habitude de gérer (ou qu’ils n’ont jamais appris à gérer). L’autre est devenu un peu « virtuel », et parfois un peu transparent ou invisible, et il n’est plus rare de voir des managers ne plus dire « bonjour », ou au contraire dire plusieurs fois « bonjour » à un collaborateur montrant de fait leur peu d’intérêt pour cette personne.

Comment le manager pourrait-il dans cette situation de « cécité sociale » percevoir la moindre attente ou difficulté de son collaborateur ?

Mettre l’humain au cœur de l’entreprise est sûrement un slogan très à la mode, faudrait-il aussi insister dans la formation sur le savoir-être plus que sur le savoir ou le savoir-faire, et considérer que le temps consacré à l’autre n’est pas perdu mais investi. L’exemple vient d’en haut.